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CT par M.Adam

Catherine a des mains blessées, de travailleur de force,
de lavandière ancienne.
Elles dansent devant vous quand elle parle.
Elle les broie quand elle tresse la carcasse filaire, qui sera l’os
et le fil de la neuve chose qu’elle dresse hors de terre.
Elle les tient chaudes pour approcher la glaise qu’elle torture
et caresse. Elle les noue sur le cou, le dos, le ventre et les joues
de ce qui lui sort des doigts : le vif, le beau, chaud.

Je n’ai jamais vu Catherine « œuvrer »,
Je l’imagine seulement, en laissant ses jolies mains carrées
me dire leur bonheur de « faire ».

Catherine sculpte et peint. Elle sculpte comme elle peint
et fait le chemin inverse de l’œil à la main.
Il faut laisser ses éclats de vie, quasi monochromes sur toile,
brutalement écaillés en bronze, surgir d’elle et vous envahir l’œil,
le cœur et la main qui s’avance pour toucher
la caresse crûe qu’elle leur a donnée
à coups de brosse, à coups de doigts, à coups de poings parfois.

Catherine est une force nature,
qui prend à bras-le-corps les formes qui germent en elle
depuis des lunes , depuis l’enfance.
Elle est libre de les tordre ou les tendre à son gré
car elle n’a jamais appris, elle a regardé. Les chevaux, en premier.
De tout temps dont elle se souvienne ils furent là, à la frôler,
la dompter et la pousser dans ses derniers retranchements.
D’eux lui sont venus la force, l’œil et la main
pour poser hors d’elle, leurs couleurs et mouvements insensés
qui d’un coup de pinceau devenaient siens.
D’eux lui sont venus le geste, l’assurance et la justesse
pour modeler à son idée terre et ciel et couler
son image dans le bronze que l’on dirait cabossé.
Ces pégases alignés sont ses mentors, ses passeurs de vie, sa liberté.

Catherine ne ressemble à rien, elle invente.
D’un geste, elle capte le mouvement suspendu d’un homme
que le doute blesse, l’intime conviction alanguie d’une « petite »,
le pas infini d’un poney minuscule ou le regard éloigné d’un «cador»
dont elle ne livre que la tête émergée.
De coup de pouce, il me semble, en coup de poing aussi sans doute,
elle taraude la terre, la tord, la plaque, en fait une carapace
qui gaine l’instant funambule que son œil a capté.

Etrangement, le passage au bronze sublime cette instantanéité.
Jamais elle ne tombe dans la redite, l’automatisme.
Sa liberté me sidère et me touche.

Catherine peint, et sa peinture lui ressemble bien.
Libre et mouvante, émouvante,
comme les regards qu’elle détaille, voile ou gomme délibérément.
Là aussi, les chevaux n’en sont pas.
Ils déboulent, se noient et poudroient dans l’éclat de couleurs primales,
quand les visages humains émergent, interrogent
ou s’abîment dans les mêmes teintes folles et profondes.
Elle tient un rouge affolant, un bleu bouleversant
que j’ai envie de nommer centaure !
J’ai le souvenir d’un bleu de ventre de mer pour un «Somewhere»,
cheval malheureusement évanoui puisqu’il est vendu…

Catherine sculpte et peint, droit au cœur.
Elle met son bleu à l’âme, mais brandit feu et flammes
sans peur, en toute liberté.
Car il y a de l’allégresse dans son art et une force pénétrante mêlées,
qui surgissent d’elle et prennent à la gorge comme un chagrin d’enfant.

Je n’ai plus rien à dire en mots,
je veux laisser ses mains d’ouvrière inouïe
remuer ciel et terre
et la laisser, de ses doigts
toucher le cœur de la couleur du temps.